vendredi 26 février 2010

Bariza Khiari, sénatrice: "la burqa, les minarets, l’identité nationale… ça suffit"

Née en 1946, Bariza Khiari est la première sénatrice musulmane de France (PS), juge à la Haute Cour de Justice de la République, et chevalier de l’Ordre national du mérite. Elle raconte son expérience.

"J’ai envie de vous parler d’un islam que vous ne connaissez pas. D’un islam familial, tranquille, plus attaché à l’essence des choses qu’à l’observance des dogmes, un islam fait d’amour, de culture, de poésie, de musique, d’enchantements. J’appartiens à une famille confrérique soufie, venue en France depuis l’Algérie quand j’étais encore bébé. Je suis donc une musulmane sunnite de rite malékite et de tradition soufie. Et notre islam, comme celui de la grande majorité des musulmans, est un islam complètement apaisé, ouvert, tolérant, en cohérence avec la tradition laïque française.

C’est pourquoi je ne me reconnais pas dans les discours actuels. Il y a tant de méconnaissance... Le grand penseur soufi Ibn Arabi disait : "Les hommes sont les ennemis de ceux q’ils ignorent". Pour masquer cette ignorance, certains affichent le plus grand mépris pour l’islam. On parle de culture judéo-chrétienne, en oubliant, en excluant le troisième pilier du socle abrahamique qu’est l’islam. Quand on sait qu’il y a maintenant 5 ou 6 millions de musulmans en France et qu’on ne parle de leur religion que sous l’angle d’une idéologie à combattre alors qu’elle est une spiritualité, je me sens mal, très mal. Répétons-le, l’islam fait partie de la tradition d’Abraham, l’islam n’est pas en rupture avec le judaïsme et le christianisme, il en est le continuum. Mais on ne parle que des choses qui divisent, jamais de ce qui rassemble. Il ne faut pas s’étonner ensuite, qu’il y ait des crispations, des conflits, des incompréhensions. Je témoigne aujourd’hui, parce que l’on doit retourner cette stigmatisation de l’islam en occasion pour les musulmans qui vivent leur foi paisiblement de s’exprimer.

Suis-je une citoyenne à part ? Non, je suis une citoyenne à part entière. L’islam n’a rien à voir avec mon identité française. Pour plagier la célèbre phrase de Raymond Aron interrogé sur sa judéité, je dis « je suis française, citoyenne française, et je reste en fidélité avec la tradition qui m’a portée ». Je revendique mes origines arabo-musulmane et je les assume parce que l’inverse serait faire injure à toute la chaine de mes ancêtres. C’est une richesse pour moi, ma colonne vertébrale. Et je suis aussi profondément laïque, en considérant que la laïcité est la matrice qui surplombe nos identités multiples, notre maison commune. L’acceptation de la diversité ethnique culturelle ou cultuelle est le test de crédibilité de la laïcité. L’islam est parfaitement compatible avec cette extraordinaire République, j’en suis la preuve concrète. Ce n’est du reste pas la religion qu’il faut combattre mais le pacte républicain qu’il faut rétablir de toute urgence.

Comment voulez-vous que les jeunes des quartiers aient un sentiment d’appartenance quand ils envoient 900 C.V. et qu’on ne leur répond même pas, alors que la loi sur le C.V. anonyme a été votée par les deux chambres mais que les décrets ne sont toujours pas prêts ? Quand à la frontière de sa cité, on est arrêté dix fois par jour pour un contrôle au faciès? Quand il y a une justice à deux vitesses, et que les exactions commises par les forces de l’ordre aboutissent à des non-lieux faciles? Quand on devient l’otage du système politique dès qu’une élection se profile à l’horizon ? Quand les uns prétendent incarner les Lumières et le primat de la raison sur la foi et où les autres sont renvoyés aux ténèbres et à l’aveuglement religieux ? Quand dans l’armée, au moment de recevoir leur grade, quelques méritants musulmans, engagés sous les drapeaux pour risquer leur vie pour la France, voient leurs supérieurs tremper leurs galons dans la bière et les obliger à boire avant de leur remettre, comme cela a eu lieu récemment ?

Les discours sur la burqa, les minarets, l’identité nationale… ça suffit ! La question de la religion est seconde par rapport aux questions majeures que sont le logement, le travail, l’éducation. A-t-on vu les quartiers flamber au moment de l’affaire des caricatures du Prophète ? Non, parce que les jeunes, eux, ne se trompent pas de sujets. Aujourd’hui, j’en appelle à cesser ce débat à visée électoraliste. Il ne sert qu’à cacher la question sociale et alimente l’islamophobie comme l’islamisme."

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