samedi 19 avril 2008

Aimé Césaire ou l'universaliste.

"Ce n’est pas vrai que nous n’avons rien d’autre à faire que d’être des parasites dans ce monde […] aucune race n’a le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force, et il y a une place pour tous au rendez-vous de la victoire."
Aimé CESAIRE.

dimanche 6 avril 2008

les USA et "l'IranGate" permanent

Chronique de Bernard Guetta sur France Inter le 18 Mars 2008

Le cadeau fait à l'Iran

Cette guerre avait un objectif. En allant renverser Saddam Hussein, il y a cinq ans demain, les Etats-Unis voulaient susciter une « contagion démocratique » au Proche-Orient. Cela semble, aujourd’hui, si tragiquement risible qu’on l’a oublié mais si c’était pourtant bien leur idée – aller créer une vitrine occidentale dans la région, ce qu’avait été Berlin-Ouest dans le bloc soviétique ; se faire tombeurs et non plus alliés des dictatures et si bien modifier leur image que les islamistes en soient privés de leur fond de commerce, la dénonciation de l’Amérique et des régimes en place, et que les classes moyennes arabes en soient encouragées, elles, à faire évoluer leurs pays vers une libéralisation qui serait, effectivement, la condition d’une stabilité internationale.
Le problème est que la Maison-Blanche ne s’est pas donné les moyens de cette ambition et qu’elle avait ignoré, surtout, l’histoire et la géographie. Pour avoir la moindre chance de succès, cet objectif aurait demandé une présence militaire longue et massive, un déversement d’argent suffisant pour immédiatement améliorer la vie quotidienne des Irakiens et, plus que tout, un minimum d’intelligence politique. C’est le contraire qui s’est passé. Les effectifs engagés ont été minimes. Il était prévu de les rappeler à court ou moyen terme. Cette armée est arrivée sans argent à distribuer et, pire que tout, les administrateurs américains ont chassé de l’armée et de la fonction publique les membres du Baas, le parti de l’ancien régime, et ainsi réussi, d’un coup, à jeter des milliers de militaires dans la résistance, à casser l’appareil d’Etat et à dresser contre eux la puissante minorité sunnite sur laquelle s’était appuyé Saddam.
On a rarement vu commettre autant de stupidités mais, même si l’Amérique avait un peu plus réfléchi aux moyens de gagner la paix après la guerre, son échec stratégique n’aurait été qu’à peine moins grand. Lorsqu’on envahit un pays, encore faut-il le connaître. L’Irak est une création récente, un enfant des découpages et partages coloniaux des lendemains de la Première Guerre mondiale. Il est fait d’une majorité chiite qui avait toujours vécu sous la domination des élites sunnites et, troisièmement, d’une communauté, les Kurdes, dont le rêve est de réunir, enfin, toutes les Kurdes de la région dans un Etat nation.
Avant d’instaurer le suffrage universel dans un tel pays, il aurait fallu lui inventer un pacte national et penser, avant tout, aux conséquences régionales de l’émergence de la nouvelle puissance chiite que la loi de la majorité allait immanquablement créer puisque la majorité des Irakiens est chiite. Avec cette aventure, les Etats-Unis ont offert un Irak chiite à l’Iran limitrophe et chiite, totalement bouleversé, donc, l’équilibre régional entre les deux branches ennemies de l’Islam et déstabilisé le Proche-Orient comme jamais. Ce n’est pas une « contagion démocratique » qu’a suscitée Georges Bush mais une contagion chiite qui a fait de l’Iran la première puissance de la région alors même que ce pays travaille, lui, réellement, à se doter d’armes de destruction massive. L’Amérique ne pourra plus se sortir de ce guêpier sans négocier un nouvel ordre régional avec l’Iran. Le plus tôt serait le mieux mais ce ne sera pas bon marché.


jeudi 3 avril 2008

Benjamin Franklin. de la Liberté.

Quiconque est prêt à sacrifier sa libérté pour une sécurité provisoire ne mérite ni l'un ni l'autre

"People willing to trade their freedom for temporary security deserve neither"
Benjamin Franklin

De l'esclavage en Méditerranée à l'époque moderne

L’une des pages les plus contestées de notre Histoire reste celle de l’esclavage en Méditerranée où le problème se double du vieil antagonisme entre Islam et Chrétienté.
Sur le plan méthodologique l’écueil essentiel à éviter reste l’anathème jeté à la figure de celui que l’on situe dans le camp dit adverse et, certes, la conjoncture politique actuelle ne facilite pas les choses. Tant que l’on désignera du doigt des « axes du Mal », on n’écrira qu’une histoire biaisée, fausse et sans autre intérêt que d’alimenter des haines ancestrales dont la science n’a que faire.
Jean-Michel Deveau, « Avant-propos », Cahiers de la Méditerranée, vol. 65, L'esclavage en Méditerranée à l'époque moderne, 2002, [En ligne], mis en ligne le 15 octobre 2004. URL : http://cdlm.revues.org/document25.html. Consulté le 03 avril 2008.

Commencer par cet article:
http://cdlm.revues.org/document37.html

Mémo sur ce que dit l'lslam sur le sujet:
L’Islam a clairement et catégoriquement interdit la pratique primitive de la capture d’un homme libre, pour le réduire à l’esclavage ou pour le vendre en tant qu’esclave. Sur ce point, des propos clairs et péremptoires du Prophète — paix et bénédiction sur lui — disent : "Je serai l’adversaire de trois catégories de personnes le Jour du Jugement. Et parmi ces trois catégories, il cita celui qui asservit un homme libre, puis le vend et récolte cet argent." (rapporté par Al-Bukhârî et Ibn Mâjah). Les termes de cette tradition prophétique sont généraux : ils n’ont pas été édictés ni restreints à une nation, à une ethnie, à un pays en particulier ou aux adeptes d’une religion précise.
http://www.islamophile.org/spip/Islam-et-esclavage.html
http://www.islamophile.org/spip/L-esclavage-en-Islam-pourquoi.html

Hadith Qudsi 21: D'après Abu Harayrah (que Dieu l'agrée), le Prophète (S.B) a dit : Dieu Tout-Puissant a dit: Je serai l'adversaire de trois hommes (1) le Jour du Jugement : un homme qui jure par Moi et brise son serment; un homme qui a vendu un homme libre (2) et en a consommer le profit; et un homme qui a employé un ouvrier, a exigé son dû en totalité et ne l'a pas payé [de son travail] (1) i.e. catégories d'hommes (2) i.e. un homme qui a asservi un autre homme en esclave et l'a vendu. Rapporté par al-Bukhari (et par Ibn Majah et Ahmad ibn Hanbal).
http://www.islamophile.org/spip/Islam-et-esclavage.html
http://www.islamophile.org/spip/L-esclavage-en-Islam-pourquoi.html

Bilal, escalve noir affranchi, premier muezzin de l'Islam, selon la tradition:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Bilal_(islam)


Voir aussi de Malek Chebel: "L'esclavage en terre d'islam"
http://www.herodote.net/articles/article.php?ID=290

mercredi 2 avril 2008

Rocé, de l'Identité en Crescendo

Identité en crescendo fait partie de cette catégorie d’album qui échappe, justement, à toute tentative de classification. Rocé, rappeur multi-culturel, échappe par essence à toutes les frontières, toutes les barrières musicales ou intellectuelles : "Appelle ça du rap, du slam, du punk, ca ne me regarde plus. Top Départ, le premier album de Rocé sorti en 2002, avait déjà souligné la personnalité atypique de Rocé, la droiture d’esprit, l’intégrité musicale et la finesse de l’écriture.

(...)Une ambiance sonore très jazz, pour un discours finalement très hardcore. Rocé rejette ce qui dilue l’individu et lui fait perdre la notion des contours de son identité propre : artifices, négation de soi, consommation…

Né en Algérie, de nationnalité argentine, d’un père juif et d’une mère musulmane, d’un père blanc et d’une mère noire, arrivé en France en bas âge, Rocé fuit les stéréotypes sur l’immigration. Il interroge dans Identité en crescendo la France, la République et son degré de conscience. "Qu’elle m’accepte comme être multiple et je chanterai la France" insiste-t-il. Ainsi, à travers cet album, Rocé se questionne sur les fondements de l’identité – la sienne bien sûr – , mais également celle du peuple français, de la langue, et des valeurs de la République.
Interviews:
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article2115
http://www.musiqualite.net/roce-interview-130

Le Métèque (extraits)


Je m’affirme seul, loin de l’entonnoir intégration
Qui m’amputerai de mes ancêtres pour que je glisse sans frottement
Détacher ma culture et mon nom pour rentrer dans l’ rang
C’est l’assimilation et c’est de la mutilation

Et devoir s’intégrer a un pays qui est déjà le siens
C’est flairer, ce mordre la queue, donc garder un statut de chien
Quand je ne peux séparer les cultures qui m’ont faites un
M’en retirer une partie c’est ôter tout l’être humain

Avec ma tête de métèque, de juif errant, de musulman

Ma carte d’identité suspecte, d’étudiant noir, de rappeur blanc
Je commets l’ délit de faciès, à tous lieux et de tous temps
J’sais pas c’ que je suis aux yeux des êtres, mais je sais c’ que je suis sans



Chante la France (extraits)

Mon père a combattu Vichy et collaboration
Expert en faux papiers, sauve les victimes de trahison
Agir et résister quand la patrie perd la raison
Il offre l’humanité sans prendre l’accord du président

Le secret et la censure créent un long silence
Un silence qui couvre et qui étouffe les cris
Et les répliques aussi, et le pays nous dit
Chante et chante et chante la France

Quitte à chanter quelque chose, je chantonne l’humanité
Tout en demandant à ce pays d’admettre que telle est sa chance
Et quand les portes restent closent il s’agit de s’impliquer
Car c’est de ses ecchymoses que peut se construire la France



Ce Que Personne n’Entend Vraiment (extraits)


Ils écoutent de la musique ethnique, avec leurs sapes ethniques
On se croirait à Ethniqueland, c’est véridique ? j' me demande
Ce pays n'existe qu'ici, où les fantasmes abondent
Ils l'ont construit brique par brique, voudraient que je m'y rende

Mais quand ils partent vraiment, dans un de ces lieux du moment
Ils se plaignent du changement, face au délire de leur pensant
Alors ils recommandent, soirée sur thème d'Orient
Où tout l' monde applaudie ce que personne n'entend vraiment…

Réduit à ça est le tiers monde, la critique reste de bronze

Et les conneries abondent, se vendent surtout après le onze
L'Islam en best seller inonde les lumineux plateaux des songes
Où l'audimat éponge conneries et mensonges

Dans cette saveur d'amour - haine, les livres prennent leur élan
Certains mots font peur, la peur fait l’argent
Le savoir fuit l'horizon, stoppé par cette queue d' poisson
Et tout le monde applaudi, ce que personne n'entend vraiment…

Des Problèmes de Mémoire

Système assimilatoire, qui crée des êtres à problèmes
Identité en gruyère, orphelins de leur mémoire
Vu qu'on passe à la passoire, les causes de tous nos mystères

Nos causes partent, restent les problèmes, et tout ça crée des ignares

Intégration à l'entonnoir, qui prône un modèle unique
Et pour ceux qui ont cette saleté de chance d'être multiple, au revoir
Système assimilatoire, amputation des tuniques
Amputation à l’identique, et mise du voile à l'histoire

Mais l'histoire n'est pas unique, sacrée pour un pays qui s' dit laïque
Parfaite ! Sainte ! Extrémiste ! Un dieu auquel faut croire
Le pays a du mal, à regarder ses chapitres comme lui-même, pluriels, multiples
Nous laisse frêle et limite, avec des problèmes de mémoire

L’Un et le Multiple (extraits)


Etrange sentiment d’appartenance à un monde varié mais dans lequel on me refuse la diversité.
Nous sommes des clichés, enfermés dans une trop étroite identité.
Mais je ne peux plus m’enfermer dans celui qu’on me désigne, aucune définition réductrice ne m’agrippe. Je ne peux m’empêcher d’être l’Un… et le Multiple

J’ai le sens du rythme mais… la mélodie linéaire
La voix aigue mais… le propos grave et austère
Adolescence française, regard russe et langue algérienne
La pensée universelle et l’ambition planétaire

Rempli de compassion mais… vide de condescendance
Train de vie brouillon et flou mais brodé d’ambitions claires
Identité effritée, qui vole au vent dans les ronces
Métèque présent par l’esprit, mais dont on ne veut voir que la chaire

Alors dans ce monde varié, offert en son étrange ensemble
Je ne peux me résigner à n’être qu’Un, et ceux que ça arrange
De nous mettre dans des cases et des franges
Mon exemple brise leurs clichés, dérange, émiette leur pain quotidien

On se veut unique mais on devient viande de plus en plus tendre
Rentrant dans des cases, tel des offrandes à la loi marchande
Et même si on tente de se démarquer, on alimente
Un nouveau cliché qu’on vente, et oui au final on fait que ça, on « représente »

Alors être valable se confond avec vendable, récupérable
Humain interchangeable, et sur le tard
S’exécuter dans un système qui vend ses citoyens comme son âme
A force d’être assimilable, on finira en code barre


Individu consommable, mis dans des cases inflexibles
Et si je brise les chaînes invisibles des identités hybrides
La complexité sera ma résistance, mon fond de commerce
Cela fera de moi un mauvais commercial mais un homme libre


La Science-Fiction ou l'univers des possibles.

A lire dans le site, les scénarios du futur.
http://arbredespossibles.free.fr/base/BaseScenarios.html

De la liberté des peuples.

Les peuples ne devraient pas avoir peur de leurs gouvernements. Les gouvernements devraient avoir peur du peuple.
Thomas Jefferson

mardi 1 avril 2008

V for VENDETTA, allégorie de la Liberté et de la résistance aux totalitarismes.

La géniale tirade du film tiré de l'oeuvre d'Alan Moore:
« Voilà ! À première vue je ne suis qu'un vulgaire comédien de vaudeville, à qui les vicissitudes de la vie font jouer le vilain et la victime et vice-versa. Ce visage n'est pas que le vil reflet de ma vanité mais un vibrant vestige de la vox populi aujourd'hui vacillante et vaincue. Vous devez y voir, les vieux restes d'une vexation vieillissante aussi vive que vivante et voué à vaincre cette vermine vulgaire vivace virulente et vénale qui vivote en privant ses valeureuses victimes vaincues de la vérité et des vraies valeurs ! Le seul verdict que je voie est la vengeance. Une vendetta violente brandie tel un ex-voto et non en vain visant à faire vaincre la vertu face à cette vilénie lovée dans les veines de nos villes. Ces vagues vocales faisant de moi un ventriloque vociférant ces volutes verbales, revenons-en à l'essentiel. Je suis honoré de vous rencontrer alors pour vous, je serai V.»
http://fr.wikipedia.org/wiki/Alan_Moore

Toute ressemblance au scénario du film n'est que pur hasard...
Vers 2038, après une guerre à peine évoquée et un mystérieux virus utilisé lors d'un terrible attentat biologique visant 3 sites importants par leur symbolique (l'école primaire Sainte-Mary) ou le nombre de victimes en résultant (station de métro Victoria et une usine de traitement des eaux) ayant provoqué environ 100 000 décès. L'Angleterre est depuis dirigée par un parti fasciste après l'élection d'Adam Sutler qui, profitant du climat de peur affectant la population, a facilement institué un régime dictatorial auquel il s'est placé à la tête, s'auto-proclamant « Haut-chancelier d'Angleterre ». Un couvre-feu, dont le respect est contrôlé par sa milice, a été instauré sur tout le pays ; le culte musulman et tout ce qui pouvait s'y rattacher a été banni, et les opposants ou minorités tels les homosexuels pourchassés lors de la grande purge. Les plus élémentaires libertés individuelles (liberté d'expression en particulier) ont été abandonnées au nom de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme. Les médias sont muselés et BTN, l'unique chaine de télévision, est le principal instrument de propagande du parti.
Il faut prendre 'V pour Vendetta' pour ce qu'il est vraiment : une fresque grandiose, profondément politique, ode à l'anarchie et la liberté, dont le futur proche dépeint sonne comme profondément présent. Un film grandiose de par les sentiments qu’il dégage V pour Vendetta est un film qui donne à réfléchir sur les dangers d’un système politique totalitaire et l’endormissement des foules par le biais de la fausse information.

Figures et rôles du DIABLE dans nos sociétés.

De la grande panique sataniste qui a touché les USA et la Grande-Bretagne dans les années 1990 à l’omniprésence du Diable dans le discours des très dynamiques églises évangéliques, en passant par le regain des exorcismes effectués par les prêtres catholiques, la figure du Diable est toujours bien présente aujourd’hui en Europe. Même si la publicité use et abuse d’une image d’un Diable plus comique que dangereux, dans d’autres contextes ses représentations jouent toujours un rôle maléfique.

Il y a plus de trois cents ans, le théologien néerlandais Balthasar Bekker (1691) formula sa fameuse critique de l’image traditionnelle du Diable : il s’agissait pour lui d’une superstition « païenne », indéfendable pour tout croyant protestant sensé. Sa réfutation de la diabologie chrétienne, et de son apogée dans la croyance – mobilisée dans l’épidémie européenne de sorcellerie – selon laquelle les sorcières, possédées par lui, œuvraient avec le Diable, fut un best-seller qui provoqua approbations et contestations. Au cours du xviiie siècle, la théologie protestante progressiste évolua d’une conception qui prenait au sérieux le Diable – en tant qu’esprit personnifié – vers une notion plus abstraite du Mal. Dénoncer les croyances au Diable et aux démons comme des superstitions, devenues inacceptables pour une pensée rationnelle, faisait partie du projet plus ambitieux de désenchantement du monde.
Et pourtant, le Diable s’est montré remarquablement résistant face aux idées qui, de longue date, dans le sillage des Lumières, ont critiqué le fait de croire en son existence. Dans notre monde contemporain globalisé, Satan figure toujours dans des contextes multiples, et pourtant reliés, comprenant à la fois la culture populaire et la publicité, les films d’horreur et la musique heavy metal, les livres d’art et de photos et les expositions sur le Diable et le Mal, les imaginations et les allégations de satanisme, les rituels exorcistes des chrétiens catholiques et orthodoxes. À tout cela s’ajoute la préoccupation des Églises évangéliques charismatiques de mener la « guerre contre Satan ». La popularité durable de ce dernier exige, pour le moins, une réponse qui ne se contente pas de reprendre la critique rationaliste selon laquelle il n’existe pas. Même s’il peut être vrai, comme le suggère Charles Stewart dans sa contribution à ce numéro de Terrain, que « les sociétés ont créé une panoplie de figures surnaturelles dont elles ont ensuite perdu le contrôle [et qu’elles] sont tombées sous la coupe des produits de leur propre imagination », il est encore nécessaire de chercher, au moyen d’une ethnographie précise et minutieuse, comment de telles imaginations acquièrent une aura de vérité et sont authentifiées comme réelles. Ainsi que le soulignent les articles réunis ici, afin de comprendre la résistance tenace de ce double obscur de Dieu, il nous faut examiner de près les fondements cosmologiques qui rendent son existence et son attrait plausibles; et pointer les structures de pouvoir et d’autorité qui transmettent cette vraisemblance.
Il existe une gigantesque littérature sur Satan et la diabologie chrétienne dans les champs du folklore, de la théologie, des études religieuses et de l’histoire, au regard de laquelle, par comparaison, le Diable n’a guère suscité jusqu’à maintenant l’attention des anthropologues. Nous possédons néanmoins, en anthropologie, un corpus considérable de travaux sur les forces du Mal (Clough & Mitchell 2001; Parkin 1989). En ce qui concerne l’Afrique, mon propre terrain de recherche, on ne peut que noter le grand intérêt porté aux forces et aux pouvoirs spirituels, spécialement à la sorcellerie, ces vingt dernières années (Ashforth 2005; Comaroff & Comaroff 1999; Geschiere 1997; Kiernan 2006; Ellis & ter Haar 2004). Ce qui a d’ailleurs donné lieu à des controverses sur les dangers de l’exotisme et des représentations stéréotypées des Africains, dès lors opposés aux Occidentaux éclairés. Terence Ranger (2007), dans sa récente critique de tels travaux, plaide pour qu’on prête une attention plus grande aux cosmologies locales des forces occultes et des manières de combattre le Mal. Ce conseil est judicieux; cependant, il nous faut bien réaliser – comme le montre également ce dossier – qu’il existe, de par le monde, de nombreux exemples où les notions locales de bien et de mal sont influencées par les plus larges représentations chrétiennes du Mal élaborées autour du personnage du Diable. En effet, ainsi que je l’ai soutenu dans mon ouvrage Translating the Devil (Meyer 1999), la figure de Satan agit dans l’interface entre les notions chrétiennes dualistes de Bien et de Mal et leur appropriation locale.
Le fait que, jusqu’ici, les anthropologues aient relativement négligé le Diable – mis à part quelque exceptions notables (Taussig 1980; Stewart 1991) – peut en partie s’expliquer par le fait que, pendant longtemps, le christianisme missionnaire – principal vecteur de l’image du Diable à travers le monde – n’était pas considéré comme un centre d’intérêt approprié pour les recherches anthropologiques. Concernés au premier chef par les pratiques et les systèmes indigènes de pensée en Afrique, Asie, Océanie et Amérique latine, les anthropologues se sont abstenus de s’interroger sur les rencontres, qu’elles soient anciennes ou contemporaines, entre les missionnaires occidentaux et les populations locales, au cours desquelles fut transmise l’image de Satan. Ce n’est que depuis les années 1990 que les missions et le christianisme sont devenus un objet de recherche anthropologique sérieux (Comaroff & Comaroff 1997), plaçant enfin Satan dans son cadre. Cette attention prêtée au Diable a été considérablement renforcée par l’intérêt actuel pour la popularité phénoménale du christianisme charismatique (incluant les Églises pentecôtistes et le mouvement charismatique catholique, qui mettent tous deux fortement l’accent sur l’Esprit-Saint). Dans les Églises de ce type, comme le montrent également les contributions de Ruy Llera Blanes et de Philippe Gonzalez, on porte une grande attention au combat spirituel entre l’Esprit-Saint et Satan, qui se trouve à la tête des « forces des ténèbres ».

Mettant Satan en lumière, ce numéro de Terrain présente quelques passionnants exemples de recherches en cours autour de la figure du Diable. Il provoque, ce faisant, le désir plus que bienvenu d’explorer les mondes de l’ombre évoluant, dans différents contextes, autour de cet obscur équivalent de Dieu. Dans cette introduction, je souhaite souligner plusieurs thèmes évoqués ici, qui soulèvent de captivantes questions pour de futures recherches.
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http://terrain.revues.org/document8693.html