Un peuple de mollahs, d’ayatollahs et de femmes en tchadors, ainsi voyais-je, en bonne Occidentale, du haut de ma douce France laïque, la société iranienne.
C’est d’ailleurs la première question que l’Iranien de la rue pose à l’étranger de passage : "Comment nous imaginez-vous en Europe ? Avez-vous changé d’avis depuis que vous êtes ici ?" Et de fait, la première surprise est bien là : le peuple iranien que nous rencontrons est globalement peu pratiquant dans la vie quotidienne.
On ne prie guère dans les mosquées ou dans les lieux publics et quand l’appel du muezzin retentit - je l'ai entendu tout au plus deux fois par jour - personne ne semble vraiment concerné. La prière du vendredi ne recueille pas non plus une forte adhésion, sauf quand elle prend, comme en août dernier sur le campus de l’université de Téhéran, un tour politique.
Si ce n’étaient les portraits omniprésents des grands ayatollahs Khomeini et Khamenei, il serait difficile de se croire en République islamique ! Les mollahs, ces clercs iraniens (turbans noirs quand ils descendent du prophète, blancs quand ils sont citoyens ordinaires) interviennent bien dans la vie privée pour les grands passages comme le mariage ou le deuil. Mais il est alors difficile de démêler ce qui tient du religieux ou de la coutume traditionnelle.
Ne nous méprenons pas : si le peuple iranien - et particulièrement les jeunes générations - ne semble guère pratiquant dans la rue, il est à coup sûr mystique et spirituel dans le privé. Mystique et même, oserais-je dire romantique, quand il vénère jusque dans les larmes ses martyrs et ses poètes. Spirituel quand il égraine au quotidien son chapelet de grains translucides et colorés ou avoue, comme cette jeune femme rencontrée au cœur d’un jardin de Shiraz, que "pour nous la prière est personnelle. Même si je ne suis pas très religieuse, si on ne prie pas en famille, cela ne m’empêche pas d’avoir à la maison mon 'package prière' !"
Un Coran, un tchador blanc, un petit tapis, un chapelet, le tout enveloppé dans un pan de tissu et gardé à portée de main, voilà le fameux "package", qu'on trouve dans chaque chambre d'hôtel, dans chaque maison. "Au cas où, précise notre témoin, une grand-mère de passage ou une amie en visite voudrait faire sa prière…"
Une pratique collective en recul, une dévotion privée, cela vous rappelle quelque chose ? Et si nous avions, amis chiites iraniens, des choses à nous dire ?