"Peut-on encore être chrétien en Algérie ? "(paru dans La Vie le 11,06,08). Question provocatrice d'actualité après le procès de plusieurs chrétiens accusés de "prosélytisme".
Réponse dépassionnée du Père Christian Delorme, incluant toutes les dimensions humaines, sociales, historiques et politiques souvent omises par les islamophobes.
Réponse dépassionnée du Père Christian Delorme, incluant toutes les dimensions humaines, sociales, historiques et politiques souvent omises par les islamophobes.
Je précise qu'ayant rencontré et vécu 3 semaines avec les moines rescapés de Thibarine, ayant rencontré le biographe de Monseigneur Claverie (évèque d'Oran assassiné) ainsi que le Père Serge de Beaurecueil après ses années en Afghanistan, je partage les propos de Christian Delorme. Ils correspondent assez bien à ces expériences et témoignages vécu et/ou entendu par ces grands acteurs du 20ieme siécle de la rencontre et du partage de la vie avec l'Autre et ce, même en condition extrème (conflits, occopations guerre civiles, pauvreté etc...).
(...)Enfermer l’Algérie dans une image de société «anti-chrétienne» me paraît dangereux, parce que les attitudes d’hostilité aux chrétiens n’appartiennent pas à l’histoire de ce peuple ni au comportement de la majorité de sa population actuelle. Il peut paraître démesuré que les quelque trente-quatre millions d’Algériens puissent se sentir menacés dans leur identité et leur unité nationales, par l’existence de quelques centaines ou milliers de nouveaux chrétiens algériens, mais cela est exprimé. Nous devons l’entendre. Nous ne pouvons pas ignorer que l’Algérie est une nation neuve et encore fragile, même s’il y a une «histoire algérienne» qui a préexisté à la constitution de l’État-nation né de la résistance de l’émir Abd el-Kader puis de la lutte pour l’indépendance. Cette nation reste marquée par des particularismes régionaux très forts. Elle a encore connu ces dernières années des déchirements terribles qui ont causé, dit-on, quelque deux cent mille morts en moins de quinze ans. Outre la mémoire de la colonisation et celle de la lutte pour l’indépendance, qu’est-ce qui constitue, actuellement, le «ciment» fondamental de la nation algérienne, sinon l’islam ? Je ne crois donc pas qu’on puisse faire fi de la psychologie de toute une partie de l’opinion algérienne, du pourquoi de l’incompréhension qui entoure les chrétiens. Et je n’ignore pas davantage que ces peurs peuvent être utilisées facilement par certains secteurs du pouvoir algérien qui sont liés au fondamentalisme musulman, puisque le gouvernement actuel est une coalition de plusieurs partis différents. J’espère, bien entendu, de tout mon coeur que la société algérienne finira par accepter pleinement la liberté de conscience pour chaque individu, et que les chrétiens algériens ne seront plus regardés comme des «ennemis de l’intérieur», mais je mesure que cela ne va pas de soi. Loin de moi en tous cas l’idée que les Algériens qui ont fait une découverte particulière du Christ qui les a conduits à la foi chrétienne seraient «coupables» de la répression qu’ils connaissent !
Se pose aussi la question de la légitimité du prosélytisme, c’est-à-dire la légitimité de campagnes d’évangélisation dans des sociétés musulmanes. Cette question n’est pas facile. L’évangélisation est certainement un ordre du Christ Jésus. Le christianisme ne s’est-il pas diffusé grâce au «prosélytisme» et grâce au sang versé de milliers et de milliers de martyrs ? Si je regarde le Christ, je m’aperçois, cependant, qu’il n’annonce pas toujours «à temps et à contretemps» (pour reprendre une expression de saint Paul dans sa deuxième lettre à Timothée). Parfois il demande à ceux qui le confessent (notamment les démons !) de se taire. Et, au cours de l’histoire, les façons d’annoncer l’Évangile ont connu des visages extrêmement différents. En Algérie justement, durant la colonisation française puis après l’indépendance, les Églises (d’abord sous la pression du pouvoir politique français) ont renoncé au prosélytisme afin de sauvegarder la paix sociale, car la Paix est un des grands dons de Dieu. En ce qui concerne l’islam, de surcroît, peut-on ignorer que les musulmans ont déjà une connaissance du Christ, quand bien même celle-ci est en contradiction avec l’annonce chrétienne du Crucifié et du Ressuscité ?
Enfin, la cohabitation de plus en plus fréquente des chrétiens et des musulmans dans notre grand «village planétaire» va faire qu’il y aura de plus en plus des «passages» d’une foi à une autre, du christianisme à l’islam et de l’islam au christianisme. Puissions-nous apprendre à vivre tout cela paisiblement et positivement, en croyant que l’oeuvre de Dieu s’accomplit de façons multiples et même contradictoires !
article paru dans Le Monde du 03,06,08 par Christian Delorme:
Longtemps terre de convivialité interreligieuse, l'Algérie est en train de se retrouver, chez nous, au banc des accusés, à la suite de différentes mesures qui ont restreint, dans ce pays, l'exercice du droit de vivre pleinement sa religion pour les chrétiens de différentes dénominations.
Les récents procès intentés à Tiaret contre des personnes d'origine musulmane qui ont embrassé le christianisme de tendance évangélique valent désormais à l'Algérie d'être considérée, dans les pays occidentaux, comme un pays où les chrétiens sont persécutés. Cette situation est au moins autant dramatique pour l'Algérie, dont l'image se trouve ainsi salie, que pour les chrétiens en question.
(...)
Connaissant l'utilisation à son profit du christianisme évangélique que la puissance impériale américaine fait en divers pays du monde, les Algériens sont nombreux à craindre qu'existe une stratégie qui viserait à créer une minorité chrétienne dans leur pays, qui pourrait devenir un jour prétexte à des interventions militaires. Il y a certainement, derrière les difficultés faites actuellement aux chrétiens, des pressions exercées par certains Etats du Golfe ou de la péninsule Arabique, afin que l'Algérie affiche davantage son islamité aux portes de l'Europe. Mais il y a, également, ces peurs algériennes et une sensibilité particulière du peuple d'Algérie qui ne doivent pas être traitées par le mépris.
Dans cette situation, l'urgence se fait sentir d'une réflexion sereine sur la légitimité, ou non, du prosélytisme chrétien en terre d'islam. Car si l'on ne peut que défendre le droit de chaque individu à aller librement vers la foi de son choix, en revanche il peut paraître moins sûr que soient permises les tentatives de ramener à soi, par des techniques diverses, des hommes et des femmes appartenant à la foi musulmane. L'Evangile, certes, demande aux chrétiens d'annoncer le Christ, mais pas au prix du déchirement d'un peuple, pas au prix de l'engendrement de situations de violence. Ce furent, d'ailleurs, jusqu'à aujourd'hui, le "credo" et la pratique de Mgr Teissier comme du cardinal Duval, tous les deux des constructeurs de l'Algérie contemporaine.
Christian Delorme est prêtre du diocèse de Lyon, engagé de longue date dans le dialogue islamo-chrétien.
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/06/03/non-l-algerie-n-est-pas-antichretienne-par-christian-delorme_1053102_3232.html
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