Je publie cette lettre du blog "Baroque et Fatigué" à laquelle j'adhère pleinement.
L'essentialisme et le simplisme des cris de la rue catholique ont fait un mal fou à l'image de l'Eglise, son humanisme et sa diversité. Refusant le dialogue, celle-ci, doit aujourd'hui accepter la légitimité de la République, et écouter les voix de sa famille, comme Monseigneur Dagens et d'autres personnalités qui se réveillent enfin.
1. Parce que certains d’entre nous ont
participé à la manifestation du 31 janvier 1999 contre le PACS, et que
contrairement à ce que nombre d’évêques et de personnes autorisées
prévoyaient à l’époque, les fondements de la société n’ont pas été
ébranlés, les droits des enfants n’ont pas été bafoués. Chaque année, il
y a un divorce pour deux mariages, contre une rupture de PACS pour six
PACS conclus. Et un tiers des PACS rompus le sont parce que les pacsés…
se marient.
2. Parce que l’homosexualité telle que
nous la voyons autour de nous n’a rien à voir avec celle qui est
condamnée dans l’Ancien Testament, ni avec celle que réprouve saint
Paul. Il ne s’agit pas de pédérastie ou d’exploitation sexuelle des
esclaves comme c’était souvent le cas de l’Antiquité ; il ne s’agit pas
de la pure et simple satisfaction de besoins sexuels ou affectifs. Nous
voyons autour de nous des couples homosexuels stables, fidèles, aimants,
et qui ont une très réelle fécondité au sein de notre société. Cela
doit nous amener à changer le regard que nous portons encore trop
souvent sur les personnes homosexuelles – beaucoup d’entre nous l’ont
déjà fait, et que personne ne se sente ici accusé d’homophobie – mais
aussi à revoir un cadre législatif qui ne permet pas de prendre en
compte leur situation de façon appropriée.
3. Parce qu’en dépit de ces changements,
l’Église n’a pas modifié sensiblement le discours qu’elle tient sur
l’homosexualité, qu’elle tient, dans les documents publiés par le
Saint-Siège comme dans les déclarations de beaucoup de ses pasteurs, un
discours trop souvent blessant, et qui traduit, aux yeux de beaucoup
d’entre nous, une grande méconnaissance de l’homosexualité, et
l’insuffisance de sa réflexion sur ce sujet. Il aurait sans doute été
préférable que notre Église ne s’implique pas à ce point dans ce débat
avant d’avoir réfléchi en profondeur à la validité de son enseignement ;
nous sommes tous responsables de cet état de fait. Il y a une
distinction à faire entre la Vérité que nous avons pour vocation
d’annoncer au monde, et ce qui n’est peut-être qu’une mauvaise habitude
de pensée, une tradition obsolète. Il est décevant que les médias
catholiques ne donnent la parole qu’à des « experts » dont la compétence
est plus que discutable, comme Philippe Ariño (dont le parcours
personnel est tout à fait respectable, mais qui explique l’homosexualité
masculine par un fantasme de viol, ce qui est pour le moins réducteur)
ou Tony Anatrella (qui, pour résumer, réduit l’homosexualité à un
narcissisme et à une immaturité affective, ce qui traduit une profonde
méconnaissance du sujet), et qu’en parallèle on s’intéresse si peu aux
études de genre, caricaturées en une « théorie du genre » qui n’existe
que pour ceux qui en ont peur.
4. Parce que le caractère « intrinsèquement désordonné » (c’est l’expression du Catéchisme de l’Église catholique)
d’un acte sexuel entre deux hommes ou deux femmes, à ce qu’il me
semble, n’a précisément rien à voir avec la Vérité, et tout avec des
habitudes de pensée, des traditions auxquelles nous pourrions renoncer
sans dommage. Je ne répèterai jamais assez cette citation de François
Mauriac : « Le Christ, dans son enseignement, paraît ne s’être jamais
inquiété de nos goûts singuliers. Il ne lui importe aucunement de
connaître les bizarreries de nos inclinations. Son exigence, sa terrible
exigence, et qui est la même pour tous, c’est que nous soyons purs,
c’est que nous renoncions à notre convoitise quel qu’en soit l’objet La
réprobation du monde à l’égard de l’homosexualité, et qui est d’ordre
social, n’offre aucun caractère commun avec la condamnation que le
Christ porte contre toutes les souillures, ni avec la bénédiction dont
il recouvre les cœurs qui se sont gardés purs : Beati mundo cordes quoniam ipsi Deum videbunt. »
5. Parce que la loi sur le mariage pour
tous me semble contribuer au bien commun. Elle permettra à des couples
qui souhaitent donner un cadre juridique à leur union de le faire dans
les mêmes conditions que les autres. Nous n’avons aucune raison de juger
a priori leur attachement superficiel ou insincère. Nous n’avons aucune
raison de refuser à deux personnes de même sexe formant un couple de se
transmettre leur patrimoine dans les mêmes conditions que les autres,
de tisser entre elles la même solidarité que celle qui peut unir les
autres. Quand la situation se présente, nous n’avons aucune raison de
leur refuser d’élever ensemble des enfants dans les mêmes conditions que
les autres. Le fait d’élever un enfant, d’être son père ou sa mère, n’a
jamais été, dans aucune société humaine, consubstantiellement lié au
fait d’avoir participé à sa conception. On ne saurait parler à ce sujet
de mensonge (outre que ce terme est profondément blessant) – ou alors
les parents célibataires sont des menteurs, les parents divorcés sont
des menteurs, les parents qui adoptent sont des menteurs, ce qui fait
beaucoup de menteurs.
6. Parce que les arguments présentés par
ceux qui parlent de la famille nucléaire (ou « un papa, une maman, un ou
plusieurs enfants ») comme d’un modèle unique, exclusif et indépassable
me semblent faibles. L’histoire des sociétés humaines montre que ce
modèle n’est ni plus « universel », ni plus « naturel » qu’un autre.
L’Église elle-même a toujours reconnu la diversité des états de vie :
mariage, célibat, vie consacrée, sacerdoce, vie religieuse
communautaire. À cet égard, les couples homosexuels ne me semblent pas
représenter un bouleversement majeur ; il suffit d’en connaître
quelques-uns pour saisir à quel point ce qu’ils vivent ressemble
profondément à ce que vivent les couples hétérosexuels. Quant à vouloir
préserver l’institution du mariage de tout changement : on oublie un peu
vite qu’il n’y a pas si longtemps, se marier, c’était débuter une vie
commune avec quelqu’un qu’on avait rarement choisi – vie commune marquée
par la domination de l’un des deux membres du couple sur l’autre. (Je
ne crois pas qu’il y ait eu, en ce temps, de grandes manifestations
contre le mariage tel qu’il était). Pour autant qu’il soit possible d’en
juger au for externe, de ce mariage et de celui de deux personnes
homosexuelles aujourd’hui, lequel vous paraît le plus éloigné d’un
hypothétique modèle d’union chrétienne ? Il me semble que la question
mérite d’être posée.
7. Parce que la procréation médicalement
assistée (PMA) et la gestation pour autrui (GPA) sont des problèmes bien
distincts de celui du mariage pour tous. Si l’Église ne considère pas
la plupart des formes de procréation médicalement assistée comme
moralement acceptables, c’est pour des raisons qui s’appliquent tout
autant à un couple hétérosexuel qu’à un couple homosexuel. Il aurait pu
être pertinent de mettre un million de personnes dans la rue lorsque la
fécondation in vitro (et la production d’embryons surnuméraires qui y
est hélas associée) a été autorisée : il est étrange de ne s’en
préoccuper à ce point – même si je n’ignore pas toutes les actions
entreprises par des catholiques pour combattre cette pratique – qu’à
l’heure où les couples homosexuels pourraient y avoir accès. Quant à la
gestation pour autrui, elle n’est à l’heure actuelle pas légale en
France, que le couple intéressé soit homosexuel ou hétérosexuel. La
plupart des couples qui recourent à ce procédé dans les pays qui
l’autorisent sont hétérosexuels. Bref, s’il y a un risque de
reconnaissance d’un « droit à l’enfant », c’est un problème global,
c’est le problème de tous les couples, qu’ils soient homosexuels ou
hétérosexuels, et stigmatiser les couples homosexuels comme
nécessairement « égoïstes » dans leur désir d’enfant est injuste et
mensonger.
8. Parce que je crois que les personnes
homosexuelles sont, comme chacun d’entre nous, appelées à la sainteté,
et qu’avoir la possibilité de se marier les aidera à être toujours plus
aimantes, heureuses et fidèles, ce dont un catholique, à ce qu’il me
semble, ne peut que se réjouir. Leur permettre de faire ce choix, ce
n’est pas manquer de reconnaissance à nos parents et éducateurs ; cela
n’a rien de contradictoire avec les choix que nous avons faits, si
différents qu’ils puissent nous paraître. Pour toutes ces raisons, en
tant que catholique, il me semble impossible de manifester le 13
janvier, et je me permets de vous faire une proposition alternative :
prier pour que, si la loi est votée, les couples homosexuels qui
choisiront de se marier civilement en tirent tout le bien possible.
4 janvier 2013
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