Chronique de Bernard Guetta sur France Inter le 18 Mars 2008
Le cadeau fait à l'Iran
Cette guerre avait un objectif. En allant renverser Saddam Hussein, il y a cinq ans demain, les Etats-Unis voulaient susciter une « contagion démocratique » au Proche-Orient. Cela semble, aujourd’hui, si tragiquement risible qu’on l’a oublié mais si c’était pourtant bien leur idée – aller créer une vitrine occidentale dans la région, ce qu’avait été Berlin-Ouest dans le bloc soviétique ; se faire tombeurs et non plus alliés des dictatures et si bien modifier leur image que les islamistes en soient privés de leur fond de commerce, la dénonciation de l’Amérique et des régimes en place, et que les classes moyennes arabes en soient encouragées, elles, à faire évoluer leurs pays vers une libéralisation qui serait, effectivement, la condition d’une stabilité internationale.
Le problème est que la Maison-Blanche ne s’est pas donné les moyens de cette ambition et qu’elle avait ignoré, surtout, l’histoire et la géographie. Pour avoir la moindre chance de succès, cet objectif aurait demandé une présence militaire longue et massive, un déversement d’argent suffisant pour immédiatement améliorer la vie quotidienne des Irakiens et, plus que tout, un minimum d’intelligence politique. C’est le contraire qui s’est passé. Les effectifs engagés ont été minimes. Il était prévu de les rappeler à court ou moyen terme. Cette armée est arrivée sans argent à distribuer et, pire que tout, les administrateurs américains ont chassé de l’armée et de la fonction publique les membres du Baas, le parti de l’ancien régime, et ainsi réussi, d’un coup, à jeter des milliers de militaires dans la résistance, à casser l’appareil d’Etat et à dresser contre eux la puissante minorité sunnite sur laquelle s’était appuyé Saddam.
On a rarement vu commettre autant de stupidités mais, même si l’Amérique avait un peu plus réfléchi aux moyens de gagner la paix après la guerre, son échec stratégique n’aurait été qu’à peine moins grand. Lorsqu’on envahit un pays, encore faut-il le connaître. L’Irak est une création récente, un enfant des découpages et partages coloniaux des lendemains de la Première Guerre mondiale. Il est fait d’une majorité chiite qui avait toujours vécu sous la domination des élites sunnites et, troisièmement, d’une communauté, les Kurdes, dont le rêve est de réunir, enfin, toutes les Kurdes de la région dans un Etat nation.
Avant d’instaurer le suffrage universel dans un tel pays, il aurait fallu lui inventer un pacte national et penser, avant tout, aux conséquences régionales de l’émergence de la nouvelle puissance chiite que la loi de la majorité allait immanquablement créer puisque la majorité des Irakiens est chiite. Avec cette aventure, les Etats-Unis ont offert un Irak chiite à l’Iran limitrophe et chiite, totalement bouleversé, donc, l’équilibre régional entre les deux branches ennemies de l’Islam et déstabilisé le Proche-Orient comme jamais. Ce n’est pas une « contagion démocratique » qu’a suscitée Georges Bush mais une contagion chiite qui a fait de l’Iran la première puissance de la région alors même que ce pays travaille, lui, réellement, à se doter d’armes de destruction massive. L’Amérique ne pourra plus se sortir de ce guêpier sans négocier un nouvel ordre régional avec l’Iran. Le plus tôt serait le mieux mais ce ne sera pas bon marché.
Le cadeau fait à l'Iran
Cette guerre avait un objectif. En allant renverser Saddam Hussein, il y a cinq ans demain, les Etats-Unis voulaient susciter une « contagion démocratique » au Proche-Orient. Cela semble, aujourd’hui, si tragiquement risible qu’on l’a oublié mais si c’était pourtant bien leur idée – aller créer une vitrine occidentale dans la région, ce qu’avait été Berlin-Ouest dans le bloc soviétique ; se faire tombeurs et non plus alliés des dictatures et si bien modifier leur image que les islamistes en soient privés de leur fond de commerce, la dénonciation de l’Amérique et des régimes en place, et que les classes moyennes arabes en soient encouragées, elles, à faire évoluer leurs pays vers une libéralisation qui serait, effectivement, la condition d’une stabilité internationale.
Le problème est que la Maison-Blanche ne s’est pas donné les moyens de cette ambition et qu’elle avait ignoré, surtout, l’histoire et la géographie. Pour avoir la moindre chance de succès, cet objectif aurait demandé une présence militaire longue et massive, un déversement d’argent suffisant pour immédiatement améliorer la vie quotidienne des Irakiens et, plus que tout, un minimum d’intelligence politique. C’est le contraire qui s’est passé. Les effectifs engagés ont été minimes. Il était prévu de les rappeler à court ou moyen terme. Cette armée est arrivée sans argent à distribuer et, pire que tout, les administrateurs américains ont chassé de l’armée et de la fonction publique les membres du Baas, le parti de l’ancien régime, et ainsi réussi, d’un coup, à jeter des milliers de militaires dans la résistance, à casser l’appareil d’Etat et à dresser contre eux la puissante minorité sunnite sur laquelle s’était appuyé Saddam.
On a rarement vu commettre autant de stupidités mais, même si l’Amérique avait un peu plus réfléchi aux moyens de gagner la paix après la guerre, son échec stratégique n’aurait été qu’à peine moins grand. Lorsqu’on envahit un pays, encore faut-il le connaître. L’Irak est une création récente, un enfant des découpages et partages coloniaux des lendemains de la Première Guerre mondiale. Il est fait d’une majorité chiite qui avait toujours vécu sous la domination des élites sunnites et, troisièmement, d’une communauté, les Kurdes, dont le rêve est de réunir, enfin, toutes les Kurdes de la région dans un Etat nation.
Avant d’instaurer le suffrage universel dans un tel pays, il aurait fallu lui inventer un pacte national et penser, avant tout, aux conséquences régionales de l’émergence de la nouvelle puissance chiite que la loi de la majorité allait immanquablement créer puisque la majorité des Irakiens est chiite. Avec cette aventure, les Etats-Unis ont offert un Irak chiite à l’Iran limitrophe et chiite, totalement bouleversé, donc, l’équilibre régional entre les deux branches ennemies de l’Islam et déstabilisé le Proche-Orient comme jamais. Ce n’est pas une « contagion démocratique » qu’a suscitée Georges Bush mais une contagion chiite qui a fait de l’Iran la première puissance de la région alors même que ce pays travaille, lui, réellement, à se doter d’armes de destruction massive. L’Amérique ne pourra plus se sortir de ce guêpier sans négocier un nouvel ordre régional avec l’Iran. Le plus tôt serait le mieux mais ce ne sera pas bon marché.
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