dimanche 17 février 2008

Mémoires sélectives, la dérive communautariste qui fait trembler la République.

M. Nicolas Sarkozy, la mémoire et l’histoire
“Travail de mémoire” “devoir de mémoire” Une réflexion analytique de Dominique Vidal
vendredi 15 février 2008

La première question concerne la classe choisie. Les réactions de leurs syndicats et associations le confirment : la plupart des enseignants et des psychologues estiment que les écoliers de CM2, à dix ou onze ans, sont beaucoup trop jeunes pour porter affectivement et comprendre intellectuellement le destin d’un enfant disparu dans les camps de la mort nazis. Il serait à la fois plus éthique (pour éviter tout reproche de manipulation) et plus efficace (pour garantir une pédagogie sérieuse) d’attendre que les jeunes soient plus avancés dans leur scolarité.

La deuxième question porte sur le rapport entre émotion et raison. L’expérience montre que la transmission de la mémoire des pages les plus noires de l’humanité ne peut s’effectuer sur le seul terrain des sentiments : elle suppose qu’on en appelle à la réflexion sur les leçons conjoncturelles et universelles des événements. Comme l’écrivait Jean Baudrillard, « la commémoration s’oppose à la mémoire : elle se fait en temps réel et, du coup, l’événement devient de moins en moins réel et historique, de plus en plus irréel et mythique… (2) » Bref, sans le « travail de mémoire », le « devoir de mémoire » se transforme en routine inutile, voire contre-productive.

une troisième question surgit : de quelle(s) mémoire(s) est-il question?

Quatrième question : revient-il au chef de l’Etat, qui plus est à l’occasion d’une manifestation communautaire, de décider ce que doit faire l’Education nationale en matière historique ?
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-02-15-M-Nicolas-Sarkozy-la-memoire-et-l

Rajoutons aussi les critiques de proches de Sarkozy issues de hautes personnalités de la communauté juive:

Elie Wiesel : « Il ne faut ni politiser ni banaliser la mémoire » - La Croix
http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2329151&rubId=786
Simone Veil: L'ancienne présidente du Parlement européen juge l'idée d'un parrainage des enfants juifs déportés «insoutenable et injuste». "On ne peut pas demander à un enfant de s'identifier à un enfant mort", indique l'ancienne déportée, au sujet de la volonté du président de confier la mémoire d'une victime de la Shoah à chaque élève de CM2.
http://www.lefigaro.fr/actualites/2008/02/16/01001-20080216ARTFIG00066-shoah-simone-veil-denonce-l-initiative-presidentielle-.php
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/societe/20080215.OBS0740/memoire_de_la_shoah__simone_veil_fustige_lidee_de_nicol.html
L'historien Jean-Pierre Azéma, spécialiste de l'histoire de Vichy, et membre du comité d'historiens "Liberté pour l'Histoire", a jugé cette initiative "scandaleuse, à tous égards". "C'est scandaleux", a-t-il déclaré vendredi à l'AFP, "d'embrigader des élèves pour le culte de la mémoire des enfants juifs martyrs".
Il juge cette "obligation, imposée sans la moindre concertation par le pouvoir politique en place, insupportable et qui plus est, dangereuse et contreproductive".
"Cela", a-t-il ajouté, "risque de déchaîner une concurrence victimaire, et, bien loin de réduire l'antisémitisme, de déclencher des réactions tout à fait opposées. Comme pour la loi de 1905 sur la laïcité, Sarkozy nous met la pagaille et ouvre la boîte de Pandore!"
"Tout cela a été fait à la va-vite", a-t-il remarqué, en soulignant, pour preuve, que M. Sarkozy "n'est même pas capable de dire la vérité historique": "Les 11.000 petites victimes juives - auxquelles fait allusion le président -, nées pour la plupart de parents étrangers, n'étaient pas toutes française.

L'écrivain Pascal Bruckner estime que la décision du président Sarkozy "n'ajoute rien, hormis du pathos". "C'est une initiative dangereuse", a-t-il déclaré au Figaro, "qui va faire dire, une fois de plus: +Y'en a que pour les Juifs+".
"La compassion, c'est dangereux", dit-il, soulignant que l'"on confond mémoire et histoire" et que "ce qui doit s'enseigner à l'école, c'est l'histoire". "Le devoir de mémoire défini par Primo Levi est l'obligation faite aux survivants, aux témoins, de raconter. Pas celle de commémorer."
http://fr.news.yahoo.com/afp/20080215/tfr-politique-education-histoire-shoah-f56f567_1.html

L'association Liberté pour l'histoire, qui regroupe plusieurs centaines d'historiens et enseignants, comme Mona Ozouf, Pierre Nora ou Jean-Pierre Azéma, a également fait part de sa réserve. Pour l'association, "quelque respectable que soit l'intention" de M. Sarkozy, cette initiative "substitue une démarche purement émotive à un apprentissage critique de l'histoire qui demeure le premier devoir des éducateurs".

L'Union des étudiants juifs de France (UEJF) a accueilli "de manière réservée" l'annonce de Nicolas Sarkozy, jugeant que la mémoire "ne se transmet pas par un processus d'identification."
http://www.lemonde.fr/politique/article/2008/02/16/memoire-de-la-shoah-associations-et-historiens-critiquent-l-annonce-de-m-sarkozy_1012103_823448.html#ens_id=861150
L'Union Juive Francaise pour la Paix:
Nicolas Sarkozy rejoue la manipulation de la mémoire qu'il avait inaugurée avec Guy Môquet et demande aux instituteurs de se soumettre à sa volonté.
Mais ici l'effet mémoire, dont Nicolas Sarkozy semble friand, relève d'une triple manipulation : manipulation des instituteurs obligés de jouer le jeu morbide du devoir de mémoire, manipulation de jeunes élèves auxquels on demande un jumelage tout aussi morbide avec un enfant juif victime de la barbarie nazie, manipulation de la mémoire qui apparaît ici comme une insulte aux victimes du génocide.
L'appel à la célébration de la Shoah n'est plus qu'une forme abjecte de clientélisme.
Les Français juifs devraient comprendre que cet appel, qui tend à les présenter comme des privilégiés, va à l'encontre de l'égalité des droits des citoyens français et ne peut que favoriser l'antisémitisme. Les Juifs y apparaissent comme les amis d'un Etat xénophobe, oubliant qu'ils ont été eux aussi les victimes de la xénophobie et de la chasse aux métèques. On voit ici se rejoindre judéophilie et judéophobie.
On ne peut accepter qu'un Président de la République se livre à de telles pratiques, lesquelles ne peuvent que contribuer à renforcer les clivages communautaires. Mais on sait que ces clivages sont, pour Sarkozy, un moyen d'asseoir son pouvoir.

http://www.ujfp.org/modules/news/article.php?storyid=341


Boris Cyrulnik, Une "gentillesse" trop brutale, Lemonde du 19.02.08

Notre dignité, c'est de faire quelque chose de la blessure passée, ne pas nous y soumettre et surtout ne pas entraîner d'autres enfants dans la souffrance.
Ma première réaction fut une crispation désagréable, comme si j'avais pensé : "C'est une gentillesse criminelle !" J'ai alors cherché autour de moi des cas où des adultes bien intentionnés avaient fait porter à un enfant le poids d'un autre enfant disparu. Dans mon expérience de praticien, quand un bébé est mis au monde afin de remplacer un aîné qui vient de mourir, on appelle ça un "enfant de remplacement". Ces cas ne sont pas rares, et ces enfants souffrent d'un difficile développement affectif. Ils disent : "Pendant toute mon enfance, j'ai dû aller sur ma propre tombe puisque je portais les vêtements et le nom du mort dont je voyais la photo sur le marbre de ma tombe. Je n'étais pas aimé pour moi-même puisque l'autre était idéalisé donc mieux que moi. Dans ma famille, on n'aime que les morts. Si je veux être aimé, je dois me suicider." Le poids d'une telle mémoire est un lourd fardeau pour un enfant de 10 ans.

Beaucoup de petits ne réagiront pas de cette manière. Si leurs parents soupirent d'un air excédé "encore la Shoah", comme beaucoup de gens l'ont fait dès la fin de la guerre, les écoliers réciteront la mort du disparu comme une corvée ennuyeuse, une punition peut-être ? La banalisation de la Shoah leur mettra en mémoire que l'assassinat de sept adultes sur dix et de neuf enfants sur dix n'est qu'un détail de l'histoire. Beau cadeau pour les négationnistes. Dans certains groupes religieux qui composent notre société, on réagira avec colère : "Il n'y en a que pour les juifs, nous aussi on a souffert", diront certains immigrés. Ils nous expliqueront que dans leurs pays d'origine on a tué beaucoup moins de juifs. "La persécution des juifs d'Europe ne fait pas partie de notre histoire", diront-ils, exaspérés. D'autres déclareront, et ce sera justice, que les Arméniens aussi ont le droit de se plaindre et les Cambodgiens et les Rwandais et pas seulement le lobby juif. (Tiens, il y aurait donc un droit de se plaindre ?) J'en prévois même qui seront heureux d'ajouter que la mémoire des petits Palestiniens tués devra, elle aussi, être citée dans les écoles.
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/02/19/une-gentillesse-trop-brutale-par-boris-cyrulnik_1013187_3232.html


autres sites:
http://www.crif.org/
http://www.juif.org/
http://www.a7fr.com/

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